Aimer et détester son frère ou sa sœur : une normalité à comprendre
Aimer et détester son frère ou sa sœur : une normalité à comprendre
L'ambivalence fraternelle – entre amour, haine et besoin de différenciation
Les moments de tendresse entre
frères et sœurs nous émeuvent, mais que faire face aux disputes incessantes,
aux jalousies destructrices et aux déclarations tranchantes comme "Je
le déteste !" ? Loin d'être préoccupante, cette ambivalence constitue
une étape normale et nécessaire du développement psychique de l'enfant.
L'ambivalence : un passage obligé vers la maturité psychique
La psychanalyste Mélanie Klein a
démontré que l'enfant traverse une phase appelée "position
schizo-paranoïde", durant laquelle il divise le monde entre bons
et mauvais objets. Dans le contexte fraternel, cette phase se manifeste par une
alternance saisissante entre amour fusionnel et haine destructrice envers le
frère ou la sœur.
Cette apparente contradiction
évolue progressivement vers ce que Klein nomme la "position
dépressive" : l'enfant parvient alors à comprendre qu'une même
personne peut simultanément lui procurer plaisir et déplaisir. L'ambivalence
devient ainsi un marqueur de maturité psychique, témoignant de la capacité à
tolérer des sentiments contradictoires envers un même être.
Comme le soulignait Mélanie Klein
: "L'amour fraternel n'a de valeur que s'il est libre de contenir la
haine."
Rivalité et jalousie : des forces structurantes méconnues
Au cœur de la dynamique
fraternelle, chaque enfant mène une lutte existentielle pour être reconnu comme
unique, conquérir l'amour parental qu'il perçoit comme limité, et trouver sa
place distinctive dans l'histoire familiale. Ces conflits, souvent interprétés
comme de simples agressions, remplissent en réalité une fonction structurante
fondamentale.
Ils permettent à l'enfant de se
différencier en affirmant : "Je ne suis pas mon frère, je suis moi."
Les difficultés surgissent principalement lorsque ces tensions ne peuvent être
pensées ou exprimées, figeant les enfants dans des rôles rigides : le gentil,
le méchant, le responsable, le maladroit.
Le frère, la sœur : miroir
complexe de l'identité
Le frère ou la sœur représente
souvent le premier "autre" significatif avec lequel l'enfant
entretient une relation permanente. Cette relation revêt plusieurs dimensions
psychologiques cruciales :
Un miroir narcissique
qui reflète les propres qualités et défauts de l'enfant, un rival œdipien
dans la quête d'amour parental, et un double ambivalent qu'on
aime précisément parce qu'il nous ressemble, mais qu'on déteste pour cette même
raison.
Parfois, la haine dirigée vers
l'autre masque un conflit intérieur : l'enfant projette sur son frère ou sa
sœur une partie de lui-même qu'il peine à intégrer. Comme l'observait finement
Françoise Dolto : "L'hostilité entre frères et sœurs masque souvent
une terreur d'être semblables."
Le rôle crucial des adultes : accompagner sans juger
Face à l'ambivalence fraternelle,
les parents et éducateurs ne doivent pas chercher à réprimer ces émotions, mais
plutôt les mettre en mots et aider l'enfant à les mentaliser, c'est-à-dire à en
faire une expérience pensable.
Les écueils à éviter :
- Minimiser les
ressentis : "Ce n'est rien, tu l'aimes bien au fond"
- Comparer
constamment : "Tu vois, ton frère lui au moins il..."
- Désigner des coupables
systématiques, ce qui installe des rôles fixes
Les attitudes
constructives :
- Nommer les émotions
des deux enfants : "Tu es en colère, tu aurais voulu que je joue avec toi
d'abord"
- Poser un cadre clair
sans jugement personnel : "On a le droit d'être fâché, mais on ne tape
pas"
- Soutenir l'individuation
: "Tu es différent de ta sœur, et c'est très bien ainsi"
Quand consulter?
Si les conflits deviennent
violents, permanents ou s'organisent en configurations pathologiques (exclusion
systématique, harcèlement entre frères et sœurs, alliance contre un parent), il
devient nécessaire de reconsidérer la dynamique familiale globale et
éventuellement de consulter un professionnel spécialisé en clinique de la
parentalité.
Comprendre pour mieux accompagner
Ce que
ressent l'enfant |
Ce que peut
faire le parent |
Je l'aime et
je le hais |
Reconnaître
l'ambivalence comme normale |
Je veux qu'il
disparaisse |
Nommer les
émotions, maintenir le cadre |
Il a toujours
mieux que moi |
Éviter les
comparaisons systématiques |
Je ne sais
pas qui je suis |
Aider à
construire une identité propre |
L'ambivalence fraternelle, loin
d'être un dysfonctionnement, constitue un laboratoire privilégié pour
l'apprentissage des relations humaines complexes. En reconnaissant sa normalité
et en l'accompagnant avec bienveillance, nous offrons aux enfants les clés
d'une construction psychique solide et nuancée.
Références Bibliographiques :
- Klein, M. (1932). La psychanalyse des enfants.
- Dolto, F. (1984). Le sentiment de soi. Seuil.
- Kaës, R. (1993). Les alliances inconscientes. Dunod.
- Cyrulnik, B. (2001). Les vilains petits canards. Odile Jacob.
- Winnicott, D.W. (1953). La mère suffisamment bonne.
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