La mère suffisamment bonne et la construction du sentiment de sécurité
La mère suffisamment bonne et la construction du sentiment de sécurité
Soutenir sans étouffer : L’équilibre Winnicottien de la maternité
Le concept de ''mère suffisamment
bonne'' développé par Donald Winnicott révolutionne notre compréhension de la
relation mère-enfant en nous éloignant du mythe de la perfection maternelle.
Cette approche psychanalytique nous invite à repenser la maternité non pas
comme une performance sans faille, mais comme un équilibre délicat entre
présence et absence, soutien et autonomisation.
Le holding : un environnement
de sécurité primordiale
Au cœur de la théorie
winnicottienne se trouve le concept de ‘’holding’’, bien plus riche que sa
simple traduction de ‘’portage’’. Le holding désigne cette capacité maternelle
à créer un environnement psychique sécurisant qui va bien au-delà du simple
fait de tenir physiquement l'enfant dans ses bras.
Ce holding se manifeste à travers
plusieurs dimensions essentielles. La constance constitue le fondement de cette
sécurité : l'enfant a besoin de pouvoir compter sur la disponibilité
maternelle, non pas de manière absolue, mais de façon suffisamment régulière
pour développer un sentiment de confiance de base. Cette constance ne signifie
pas une présence permanente, mais plutôt une fiabilité dans la réponse aux
besoins fondamentaux.
La prévisibilité accompagne cette
constance en offrant à l'enfant un cadre dans lequel il peut anticiper et
comprendre les réactions de sa mère. Lorsque les réponses maternelles suivent
une certaine logique, même imparfaite, l'enfant développe progressivement sa
capacité à se représenter mentalement sa mère et à gérer les moments de
séparation.
L'empathie, quant à elle, permet
à la mère de se mettre à la place de son enfant pour comprendre ses besoins
sans les interpréter à travers le prisme de ses propres projections. Cette
capacité d'empathie maternelle, que Winnicott appelle la « préoccupation
maternelle primaire », constitue un état psychologique particulier qui permet à
la mère de s'identifier temporairement aux besoins de son nourrisson.
Au-delà du mythe de la mère
parfaite
L'une des contributions les plus
libératrices de Winnicott réside dans sa distinction entre la maternité idéale
et la maternité réelle. Contrairement aux injonctions de perfection qui pèsent
sur les mères contemporaines, la théorie winnicottienne valorise l'imperfection
comme condition nécessaire au développement psychique de l'enfant.
La mère parfaite, celle qui
anticiperait et satisferait tous les besoins de son enfant avant même qu'ils ne
s'expriment, constituerait paradoxalement un frein au développement. En effet,
c'est dans l'expérience de la frustration mesurée que l'enfant développe ses
propres ressources psychiques et sa capacité à gérer la réalité extérieure.
Cette perspective libère les
mères de la culpabilité liée à leurs ''échecs'' et leurs moments de moins
grande disponibilité. Elle reconnaît que la maternité est un processus humain,
marqué par la fatigue, les doutes, les erreurs, et que ces imperfections ne
sont pas des défauts à corriger mais des éléments constitutifs d'une relation
authentique.
La défaillance ordinaire : un
moteur de croissance
Le concept de ''défaillance
ordinaire'' représente l'un des apports les plus subtils de la pensée
winnicottienne. Il ne s'agit pas d'encourager la négligence ou l'indifférence
maternelle, mais de reconnaître que les petites déceptions, les légers délais dans
la réponse aux besoins, les moments d'incompréhension mutuelle constituent
autant d'opportunités pour l'enfant de développer sa propre autonomie
psychique.
Ces défaillances ordinaires
permettent à l'enfant de faire l'expérience progressive de la différenciation
entre lui et sa mère. Elles l'amènent à développer ses propres capacités de
consolation, ses mécanismes de défense adaptatifs, et sa capacité à tolérer la
frustration. Sans ces expériences, l'enfant risquerait de rester dans un état
de fusion qui entraverait son individualisation.
La frustration progressive,
concept développé parallèlement, désigne ce processus par lequel la mère adapte
graduellement ses réponses au développement de son enfant. Au fur et à mesure
que l'enfant grandit et développe ses capacités, la mère peut se permettre
d'être moins immédiatement disponible, permettant ainsi l'émergence de
l'autonomie.
L'art de l'équilibre maternel
Cette approche winnicottienne
nous enseigne que la maternité relève davantage de l'art que de la science. Il
s'agit de naviguer constamment entre trop et trop peu, entre présence et
absence, entre réponse et attente. Cet équilibre ne peut être prescrit de
manière universelle car il dépend de chaque dyade mère-enfant, de leurs
personnalités respectives, de leur histoire et de leur contexte.
L'empathie maternelle joue ici un
rôle crucial car elle permet d'ajuster finement ces réponses. Une mère
suffisamment bonne développe cette capacité intuitive à sentir quand son enfant
a besoin d'être porté et quand il peut être laissé à ses propres expériences.
Elle apprend à reconnaître les signaux qui indiquent si sa présence rassure ou
si elle entrave l'exploration autonome de son enfant.
Implications pour la
construction psychique
Les recherches de Daniel Stern
sur le monde interpersonnel du nourrisson viennent enrichir cette compréhension
en nous montrant comment ces interactions précoces façonnent durablement la
structure psychique de l'enfant. Le sentiment de sécurité qui naît de ces
expériences de holding suffisamment bon constitue la base sur laquelle se
construit la capacité ultérieure de l'individu à établir des relations
équilibrées.
Cette sécurité de base permet le
développement de ce que les psychanalystes appellent la ''capacité d'être seul
en présence de l'autre'', compétence fondamentale qui autorise à la fois
l'intimité et l'autonomie dans les relations futures. L'adulte qui a bénéficié
d'un holding suffisamment bon dans sa petite enfance sera plus à même de
naviguer entre ses besoins de proximité et d'indépendance.
Une révolution dans la
compréhension maternelle
Le paradigme winnicottien opère
une véritable révolution en libérant la maternité des injonctions de perfection
tout en maintenant l'exigence d'une qualité relationnelle authentique. Il nous
enseigne que l'amour maternel ne se mesure pas à l'absence d'erreurs mais à la
capacité de maintenir un lien suffisamment sécurisant malgré les inévitables
imperfections.
Cette approche ouvre également la
voie à une meilleure compréhension des difficultés maternelles contemporaines.
Dans une société qui valorise la performance et la maîtrise, accepter
l'imperfection comme constitutive de la relation maternelle représente un défi
majeur. Pourtant, c'est précisément cette acceptation qui permet aux mères de
développer une relation authentique avec leur enfant, libérée de l'anxiété de
performance.
Le concept de mère suffisamment
bonne nous rappelle finalement que la maternité, loin d'être un instinct
infaillible, constitue un apprentissage permanent où l'erreur et l'ajustement
font partie intégrante du processus. Cette perspective, profondément humanisante,
ouvre la voie à une maternité plus sereine et plus authentique, bénéfique tant
pour la mère que pour l'enfant dans leur cheminement mutuel vers l'autonomie et
la relation.
Références Bibliographiques :
•Winnicott, D.W. (1953). La mère
suffisamment bonne
•Stern, D. (1995). Le monde
interpersonnel du nourrisson
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